Le terrorisme est-il un "sujet musulman" ?

, par  Collectif Contre l’Islamophobie en France

A partir de la couverture médiatique donnée aux actes terroristes des dernières années, une équipe de scientifiques américains s’est posé la question. Dans une étude statistique, analysant conjointement les données du terrorisme et le traitement médiatique qui en est fait, ils dressent un tableau édifiant des choix opérés au sein des rédactions, qui aboutissent à ce que « les attaques commises par des musulmans reçoivent 449% de couverture médiatique ».

Décryptage.

D’abord, comment s’y sont-ils pris ?

Erin Kearns, Allison Betus et Anthony Lemieux (Université d’Etat de Géorgie) sont partis de deux ensembles de données. D’une part les actes de terrorisme, conciliés dans une base plutôt exhaustive, en s’intéressant aux actes commis entre 2011 et 2015. De l’autre, les traitements médiatiques de CNN.com et ceux référencés dans la base Lexis Nexis, qui recense des milliers de publications. Ensuite, ils ont formulé quatre facteurs dont l’impact est à tester sur les données :

  • L’appartenance et l’identité du terroriste
  • L’arrestation (ou non) du terroriste
  • La nature de la cible (gouvernementale ou non)
  • Le nombre de victimes

Ensuite, sur les 2413 reportages présents en base, sur 110 actes de terrorisme, les chercheurs ont procédé à des « régressions ». Il s’agit d’un traitement numérique qui établit le lien statistique entre une série de facteurs et des données brutes.

Et quel est le résultat ?

Le plus visible, c’est la prédominance de l’identité du terroriste comme facteur décisif, dans l’évaluation médiatique du fait terroriste. Ainsi, les attaques commises par des personnes se revendiquant musulmanes ont 449% plus de couverture que les autres. On note aussi que la couverture médiatique augmente si le suspect est arrêté (+212% toutes variables égales par ailleurs), si la cible est gouvernementale (+228%) et s’il y a des victimes (+64%). La gravité directe (la mort d’innocents, en l’occurrence) passe ainsi pour presque secondaire, comparativement à l’importance que revêt, sur le moment, l’identité (ici religieuse) du/des terroristes.

Oui mais c’est parce que ce sont les musulmans qui tuent le plus…

Non. En l’occurrence, les chercheurs ont « contrôlé » (c’est-à-dire fixé les autres variables sur des seuils comparables) le type de cible, le nombre de victimes et les suites policières données à l’attaque (arrestation ou non ?). Donc ce que l’on mesure précisément, c’est bien le seul biais médiatique lié à l’appartenance religieuse supposée ou revendiquée du/des terroristes.

Oui mais ça c’est aux Etats Unis. Chez nous en France, ça n’a rien à voir…

Si. L’ensemble des causes identifiées et des mécanismes cognitifs cités par les auteurs expliquant ce biais dans le traitement médiatique hyperfocalisé sur le « terrorisme islamique » est à l’œuvre de la même façon en France. Ainsi, les chercheurs relèvent que l’identité sociale est le principal facteur expliquant cette asymétrie de traitement. A l’appui de leur raisonnement, ils citent d’importantes études menées récemment, sur la façon dont le traitement médiatique du fait terroriste influence et façonne les perceptions.

Ainsi en 2003, Ludman expliquent comment les médias, toutes tendances confondues, ont une appétence toute particulière pour les récits et narrations qui confirment les stéréotypes (en l’occurrence, ceux autour du « terroriste musulman »).

En 2012, Shaheen montre, à travers une étude sur la production cinématographique, comment la figure du terroriste et du méchant musulman est renforcée, scénarisée et promue à travers l’industrie holywoodienne.

En 2012 toujours, Nellis et Savage étudient la façon dont la couverture médiatique a un impact direct sur le risque perçu d’être victime de terrorisme, renforçant ainsi les peurs.
Enfin en 2016, Sultan démontre la façon dont le terrorisme a été construit, de manière contemporaine, comme un « problème musulman ».

Plus près de chez nous en France (et plus généralement sur le traitement médiatique de l’islam), dans une étude récente par l’agence Skoli, réalisée en coopération avec Moussa Bourekba, chercheur au CIDOB, des analystes ont montré que les trois principaux quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro et Libération) avaient, au fil des années, donné une place centrale aux sujets liés à l’islam et aux musulmans. Le plus souvent, le mot « islam » y est adjectivé par les qualificatifs de « politique » (1 284 occurrences, entre 1997 et 2015) ou « radical » (1 654 occurrences), tandis que les adjectifs tels que « moderne » (114 occurrences) ou « vrai » (196 occurrences) sont beaucoup plus rarement utilisés. Cette situation contribue logiquement à une représentation anxiogène de l’islam.

Sans être doté d’un cadrage ni d’un objectif académique similaire, ce type de travaux montre qu’il n’y a aucune raison de penser que la France serait, comme lors de Tchernobyl, protégée par un nuage idéologique circonscrit à nos frontières, qui nous éviterai quelques errements. En l’occurrence, dans notre traitement politique et médiatique du fait terroriste.

D’accord, mais ce sont juste des articles. Donc en quoi c’est un problème ?

Depuis 1981, on sait que ce ne sont pas juste des articles. En effet, Daniel Kahneman et Amos Tvervsky ont prouvé l’impact du cadrage. Ils ont reçu le prix Nobel d’économie pour avoir démontré que la manière dont sont formulées et présentées les choses ont un impact direct sur les perceptions. Et donc sur les choix et les comportements. Nous avons eu par le passé l’occasion d’expliquer cela dans le cadre des sondages portant sur l’islam et les musulmans, souvent frappés d’inconsistance méthodologique. Mais l’effet du cadrage est non moins réel dans la façon dont sont construits les sujets médiatiques.

Il y a donc là des choix et des responsabilités à prendre, dans le traitement qui est fait du sujet terroriste dans la presse aujourd’hui, pour faire converger les perceptions et les réalités. Soit très précisément l’une des définitions les plus utilitaires du journalisme.

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